Pons de l’Hérault

LE TROMBINOSCOPE

PONS DE L’HÉRAULT (André puis Marat-Pelletier Pons dit) officier de marine, commandant d’artillerie, révolutionnaire, préfet, ingénieur, historiographe — que Napoléon aurait surnommé le couteau suisse de l’île d’Elbe si l’outil multi-tâche avait existé en son temps — né voici 250 ans, le 11 juin 1772. L’administration municipale de Cette où il vit le jour décida en 1793 de se rebaptiser Sète. Une hardiesse qui restera lettre morte pendant 135 ans. Pons fut sans doute à l’origine de cette initiative, alors qu’il décidait, durant la Convention, de se nommer Marat-Lepelletier* Pons, en hommage aux 2 martyrs de la Révolution.


Fils d’un pauvre aubergiste d’origine espagnole qui le destinait à la prêtrise, Pons était le second de 4 frères. L’ainé restera dans sa ville natale pour s’échiner dans un chantier naval, un autre deviendra capitaine de navire, le plus jeune prendra en Espagne l’habit religieux qu’André avait refusé. Celui-ci commença pourtant ses études primaires chez les picpusiens cettois, une congrégation vouée principalement à la formation de séminaristes. Mais il ne put développer longtemps des qualités de potache laborieux, doté d’une vaillante mémoire. Par bonheur, l’instinct du périple et la maîtrise maritime, flattés par l’indigence familiale, s’éveillèrent à tire-d’aile. À 10 ans, il s’embarquait comme mousse sur un bâtiment marchand ; à 17 ans, il était officier en second sur son navire.


Cette carrière maritime qui s’annonçait si prometteuse fut vite interrompue par les événements. Quand à la monarchie constitutionnelle succède la République, Pons se pique de républicanisme. Lors du siège de Toulon occupé par les Anglais en 1792, il est nommé commandant des canonniers et de l’artillerie de Bandol. Bonaparte  le désigne alors pour le commandement de l’infanterie. Pons fit évader 32 citoyens accusés de fédéralisme et promis à la guillotine par un tribunal révolutionnaire zélé, si l’on admet ce pléonasme. Cet acte héroïque remonta jusqu’à Robespierre. Son retour de Toulon à Cette fut glorieux et célébré. En 1794, la Société populaire locale en fit son président. À ce titre, il prononça un retentissant discours « pour la fête de l’abolition de l’esclavage ».


* Pons signait de son prénom Marat-Lepelletier et non comme il aurait dû Marat-Lepeletier (un seul l à Lepeletier), en hommage à Louis-Michel Lepeletier, marquis de Saint-Fargeau. 

Le régime républicain de la Convention nationale, entre 1792 et 1795, vit une folie anthroponymique s’emparer des révolutionnaires et de leurs partisans. Après avoir pondu dans un poulailler des Tuileries un calendrier fermier à l’usage du citadin, nombre d’entre eux s’en prirent, dans les registres de naissance, à leurs propres fiches patronymiques ou à celles de leurs descendances. Pendant la Terreur ou après la mort de Robespierre, période durant laquelle les particules nobiliaires devenaient toxiques, une solution fut trouvée pour se donner l’apparence de révolutionnaires bon teint : les prénoms traditionnels raturés, on prenait les noms des martyrs de la Révolution. 


Pons lui-même, fervent républicain et trouvant André peu ragoûtant, s’octroya pour prénom les patronymes Marat et Lepeletier avant de prendre le sobriquet Pons de l’Hérault, sans doute pour éviter une confusion avec un homonyme, Pons de Verdun, député de la Meuse et secrétaire de la Convention. Car l’origine du choix d’un prénom ou d’un nouveau patronyme, outre le calendrier légumier et floral, pouvait être une ville, un canton, une province. Quasi exclusivité de l’aristocratie, en décidant de s’emparer de ses privilèges à partir de 1790, les révolutionnaires et leurs ouailles ne firent que singer ceux qu’ils combattaient.

Il se marie le 5 juin 1802 avec Catherine Bouilhon, qui donnera naissance à 2 filles, Hermine et Cécile. Une faveur maçonnique du comte de Lacépède le propulse, fin 1809, directeur des mines de fer de l’île d’Elbe, propriété de la Légion d’honneur dont le naturaliste était le grand chancelier. Aux premières loges du coup de pouce, fut-il aristocratique, se trouve souvent la franc-maçonnerie, discrète agence d’emploi pour initié, fut-il républicain, en mal de carrière.


L'île d'Elbe fut allouée à Napoléon, souverain déchu, en pied-à-terre perpétuel. Pons servit d’agent immobilier quand le nouveau propriétaire, débarquant le 4 mai 1814 dans son impérial asile, le trouva peu meublé et bas de plafond. L’avant-dernier acte du drame napoléonien s’ouvrait petitement devant un hôte qui allait néanmoins se découvrir une vocation littéraire. Pons deviendra l’historiographe de l’empereur à la demande de celui-ci. Il se formera la plus haute opinion de son devoir, s’imaginant porteur d’un sacerdoce quasi divin. Mais cette mission, dépeinte dans 2 ouvrages (lire encadré suivant), ne le troubla pas. Pons offre ce singulier exemple d’historien à la fois républicain et napoléoniste, comme il aimait à dire, témoin à décharge plutôt que défenseur.


Pourtant, le républicain robespierriste et opposant farouche de l’empereur allait être assez vite embabouiné par son génie et son magnétisme. Durant plus de 300 jours, Pons allait tenir le journal de l’empereur dans sa Principauté et en faire le plus authentique portrait : ses faiblesses et ses affectations seigneuriales, ses vanités théâtrales, avec une désinvolture que ses opinions républicaines n’ont certainement pas entravée. Un souverain tantôt majestueux, tantôt enragé, tour à tour bonhomme et fourbe, optimiste et désabusé. Des intimités si fouillées, une richesse d’expressions si précises et sûres — loin des représentations condescendantes et hautaines qui tapissent les murs de nos palais républicains — qu’il nous est aisé d’être convaincu avec Pons que « ce n’est qu’à l’île d’Elbe qu’on a pu réellement étudier et connaître Napoléon ».


L’empereur logeait à l’hôtel de ville qu’il avait fait surmonter d’un drapeau de sa composition. L’étendard — une bande oblique rouge sur fond blanc, ornée de 3 abeilles d’or — fut également hissé sur le point culminant de l’île où il rencontra un tel succès que les pirates barbares le saluaient en passant, y voyant le symbole de leur héros guerrier. L’inspection détaillée de sa « petite bicoque » et de ses forts, la prise de possession des îlots voisins, ses dernières conquêtes, lui avaient ouvert l’appétit. Pons l’invita dans sa maison à déguster sa fameuse bouillabaisse, que l’officier Bonaparte avait déjà appréciée à Bandol en remerciement du rapide avancement militaire de son hôte.


Napoléon s’en était souvenu. La comparaison entre la bouillabaisse marseillaise et la sétoise ne manqua pas d’alimenter la conversation. Et lorsque l’empereur lui dit de la Marseillaise qu’« elle valait une armée », parlait-il de la bouillabaisse ou de l’hymne national ? Car du côté de la Canebière comme de l’île singulière, on ne prend pas ce plat emblématique à la légère, qui peut à lui seul soulever des légions d’éloges. Après les compliments de rigueur, l’invité, qui n'avait pas négligé d’inspecter la demeure de son hôte, la trouva également à son goût. Sitôt la pèche Elba avalée, il convia son aide de camp à le lever pour s’y installer en moins de temps qui lui en fallait pour lever une armée. Celle qu’il leva peu avant de rompre le bail de son rocher pour motif légitimiste et sérieux — un peu moins de 700 soldats — allait se révéler suffisante pour reconquérir son domaine impérial.


Pons avait noté chez Napoléon un manque d’intérêt grandissant pour l’embellissement de son pré carré. Aussi lui offra-t-il une nouvelle bouillabaisse lors d’une partie de pêche au cap Stella. Il se doutait bien que l’empereur mijotait de son côté un en-cas à emporter qui allait laisser des arêtes dans la gorge de nombreux républicains. Quand celui-ci lui annonça « vous venez avec moi et vous ne me quitterez plus », Pons s’aperçut que sa bourride avait une nouvelle fois déridé son convive et constatait surtout le renforcement de l’organisation militaire de l’île. Missionné pour préparer le retour de l’empereur, il le suivra dans le dernier acte du drame napoléonien.

Léon-Gabriel Pélissier (1863-1912) historien et doyen de l’Université de Montpellier publia 2 ouvrages à partir des liasses de notes historiques de Pons de l’Hérault. Ils sont accessibles sur la plateforme Gallica de la BnF. 

Dans ses introductions et ses nombreuses notes de bas de page, Pélissier ne masque nullement sa sympathie pour le personnage, quitte parfois à manquer de distance. 

Ses 2 ouvrages sont :

Souvenirs et anecdotes de l’île d’Elbe par Pons de l’Hérault (Librairie Plon - 1897) publiés d’après le manuscrit original et accompagnés d’un portrait en héliogravure de Pons.

Napoléon souverain de l’île d’Elbe – Mémoires de Pons de l’Hérault (Librairie Plon - 1934)

Pons signa ses mémoires : Un compagnon d’infortune de l’empereur Napoléon.


Pons de l’Hérault débordait d’énergie littéraire au point de coucher sur le papier, outre ses mémoires, des Rêves politiques et militaires, des Idées sur le gouvernement de la Toscane, des Journaux de voyage en Italie, des Comédies rimées, des Poésies en français et en languedocien, le Début d’une étude comparée du Directoire avec le régime impérial

Les Cent-Jours commencèrent avec le débarquement à Vallauris le 1er mars 1815 et la marche de plus en plus triomphale vers Paris, période surnommée le vol de l'Aigle. L’expression ne cessera d’écarteler les historiens, sur la signification du mot vol, entre envol et effraction. 


Nommé commissaire pour les départements méridionaux, Pons était chargé de paver la route impériale en mettant dans sa poche les derniers royalistes récalcitrants. Du côté de Marseille, ceux-ci furent peu convaincus par ses qualités de négociateur et le jetèrent au cachot comme un brigand. Condamné à être raccourci, Pons ne sauva sa tête que par l’ancienne amitié qui le liait au puissant franc-maçon Masséna, maréchal d’Empire rallié aux Bourbons… Lequel lui octroya un séjour protecteur à la prison du château d’If. Pons y ruminait en grillant des Montecristo mais sortit au bout de 35 jours pour rejoindre l’empereur à Paris. Après avoir refusé le ministère de la Marine, il est nommé à Lyon préfet du Rhône — une place stratégique — mais son affectation sera éphémère. Il l’inaugura pourtant par une proclamation qui fit opiner du bicorne un Napoléon captivé : « M. Pons est le seul préfet qui ait franchement dit ce qu’il fallait dire. »


De son côté, l’empereur n’aura de cesse de le consulter et de lui faire confiance. Son étalon favori allait y maintenir l’ordre comme jadis à Bandol, où il sut concilier discipline et humanité. Dix jours après Waterloo, le 28 juin 1815, il fit reconnaître à Lyon Napoléon ii, l’Aiglon proclamé successeur, dans un silence de plomb, par un père résigné. Ce fut le dernier jour napoléoniste de Pons. Mais c’était sans compter sur le retour inopiné de Louis xviii et de la Terreur Blanche. Il présida à l’entrée des Autrichiens dans Lyon, rédigea un message d’adieu aux Lyonnais, et continua à gérer les affaires courantes de la préfecture. On lui offrit de rester en fonction s’il adhérait au gouvernement royaliste. Il se retira, s’estimant lié à une cause renversée.


Pons de l’Hérault plaidera en vain auprès de Vienne l’autorisation de rejoindre Napoléon à Sainte-Hélène. Craignant des représailles de la Contre-Révolution, il regagne l’île d’Elbe où sa famille lambinait en l’attendant. Sa popularité n’eut aucun effet sur le nouveau gouverneur toscan de l’île. Devenu indésirable, il est fait prisonnier à Gênes en 1817 mais obtient que sa femme, malade, retourne en France. Elle s’installe dans le Var avec leurs filles. Lui entame une errance jusqu’à l’obtention d’un passeport familial pour Gênes en 1818. Ils y résident jusqu’en 1821 mais ses idées libérales le font expulser et il obtient un passeport pour Paris. Partout on l’accueille avec allégresse. Il n’y a qu’à Cette, où il ramène sa famille, qu’on l’ignore, arguant que toute démonstration en sa faveur pourrait chagriner le pouvoir. La ville hésitera longuement pour, en catimini et à l’ombre de son théâtre, dédier une petite rue à Pons de l’Hérault. En 1823, il s’installe à Paris et entreprend de rédiger ses mémoires, souvenirs et anecdotes comme il l’avait promis à l’empereur. Le héros de Pons avait fait d’Elbe une île aussi singulière que celle qui a vu naître son biographe. André Pons meurt à Paris le 3 mars 1853.


La trombine de Pons de l’Hérault cachait, sous une apparence de fonctionnaire plumitif, un serviteur de l’État d’une énergie et d’une puissance de travail prodigieuses. Durant les 400 jours — pour autant de coups — qui ont vu leurs destins liés, Pons ne ménagea aucun effort pour assiéger l’empereur et noter par le menu ses faits et gestes, petits et grands.

Le suffrage universel reconnaît le droit de vote à l'ensemble des citoyens, expression de la souveraineté populaire dans un régime démocratique. La Constitution de 1793  — qui ne sera pas appliquée en raison de la guerre et sera supprimée lors de la réaction thermidorienne — prévoyait pour la première fois le suffrage universel (ou plus adéquatement semi-universel car réservé aux hommes jusqu’en… 1944) et une démocratie directe.

Si le suffrage presqu’universel eut beaucoup de peine à naître, il allait en avoir bien davantage à vivre. Les diverses monarchies s’entêtaient à vouloir faire passer le plébiscite pour un suffrage universel. Ainsi, de 1815 à 1848, le peuple est totalement exclu du suffrage.

Pons, qui s'était opposé au coup d’État de Bonaparte — ce qui lui valut son éviction — finira sa vie en s’opposant à celui du neveu, en 1851, témoignant de la fidélité de ce petit fonctionnaire à ses idéaux de jeunesse. Il en fut d’ailleurs récompensé en 1848, lorsque la nouvelle République instaure pour la première fois le suffrage universel. Elle le reconnaît alors comme un de ses plus anciens ouvriers et lui offre un siège au conseil d’État. 

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